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Bandeau théière calli

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dimanche 9 mars 2014

La montagne de l'âme


J'ai fait une découverte. Littéraire. Certes l'auteur, Gao Xingjian, a déjà reçu le prix Nobel de la littérature en 2000 pour l'ensemble de son oeuvre, c'est donc quelqu'un de célèbre, pour autant, je ne le connaissais pas. Mais voici que je fais à présent partie de ses lecteurs. C'est tout à fait par hasard -enfin presque, je cherchais tout de même parmi la littérature chinoise des rayons du libraire - que j'ai trouvé son livre, paru en 1990 (en 95 en France, aux éditions de l'Aube). Je dois dire que le lavis de couverture, qui est également de Gao Xingjian, m'a attirée vers ces pages d'encre noire et moins noire.



Et je suis enchantée. J'avoue pourtant qu'au bout de 300 pages, j'ai failli décrocher. Il faut dire que les scènes se ressemblent : un voyageur cherche une montagne sacrée dont il ne sait si elle existe réellement. Il parcourt la Chine et rencontre des personnages qui lui font partager leur vécu. Cette périgrination doublée d'une ascension autant physique qu'intérieure, est faite parfois à la 2ème personne, parfois à la 1ère, ce qui est déroutant. On se demande où est le personnage réel, où est le fictif, où est le personnage intérieur. En réalité, ils se mêlent un peu tous et c'est là, je crois, que Gao Xingjian a voulu nous mener, à travers légendes populaires, mythes et récits historiques modestes.

Après la 400ème page, ce pélerinage commence à arriver quelque part, ou plutôt quelques parts au pluriel, dans une introspection à la fois humaine et sociologique. L'auteur plonge peu à peu dans les vestiges de la Révolution culturelle et c'est avec bien des méandres qu'il arrive à se permettre de pointer de son clavier l'indénonçable, sans toutefois le condamner brutalement : la condition des femmes, la cruauté d'un régime, la corruption, la lâcheté, l'avidité entre autres. Il faut sans cesse lire entre les lignes et bien suivre, pas à pas, le cheminement de Gao Xingjian au bord du ravin au risque de tomber dans les eaux profondes d'un fleuve tempétueux. Car un lavis chinois n'est ni noir ni blanc : il est fait de variantes de gris qui font un tout. Et c'est l'eau qui est à la source des transformations.

Ainsi qu'il est enseigné dans le bouddhisme "Le vrai voyageur ne doit avoir aucun objectif". Difficile précepte qu'a essayé de suivre cet homme qui, après avoir tutoyé la mort, quitte Beijing pour poursuivre sa quête sacrée intérieure. A la recherche de la vérité, le personnage-auteur-chercheur finit par trouver que "La joie n'existe que par rapport à la tristesse. Seule tombe la neige" et qu'"En réalité, je ne comprends rien, strictement rien. C'est comme ça".

J'aurais voulu déposer ici un extrait, mais le choix est trop difficile et je serais obligée d'insérer beaucoup de texte alors que je me suis résolue à faire de brefs billets. Vous insistez ? OK, mais très court, alors : 

"Que dire face à ce paysage de neige de Gong Xian* ! Les flocons tombent dans un calme parfait, silence dans le non-silence. 
C'est un rêve.
Un pont de bois sur la rivière, une masure isolée près de l'eau, tu distingues la trace de l'homme, mais une impression de profonde solitude domine.
C'est un rêve figé, aux frontières du rêve, une obscurité impalpable, à peine perceptible.
Une encre. Lui qui utilise toujours le pinceau très appuyé, il repousse son inspiration encore plus loin. Il excelle dans le maniement de l'encre et du pinceau."

Bravo à Liliane et Noël Dutrait (un nom prédestiné ?) qui ont du beaucoup plancher pour arriver à traduire une telle oeuvre. J'ai pu discuter avec quelques sinologues lettrés qui ont toujours beaucoup de mal, ne serait-ce que pour traduire une simple lettre, alors...

Allez, à à peine plus d' 1 centime la page (il y en a 670), vous pouvez vous offrir le privilège de suivre ce grand auteur jusqu'au bord du Styx gelé en vous délectant de certains passages d'écriture automatique pas si automatique. Vous verrez. Je ne peux pas tout révéler, tout de même.

* Gong Xian est un peintre qui a vécu vers 1660-1700.



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