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Bandeau théière calli

Bandeau théière calli

dimanche 21 janvier 2018

Le caractère du poisson

Le tracé des caractères des langues chinoises a évolué au cours du temps. A l'origine, il y a de cela environ 5.000 ans avant notre ère, les grands chamanes d'Asie du sud-est se référaient, pour traduire les messages des ancêtres disparus et donner des conseils quand à l'attitude à adopter dans certaines circonstances, aux craquelures qui se produisaient sur des carapaces de tortues portées au-dessus des braises.

Ces craquelures formaient des sortes de signes que le chamane interprétait et on pense que c'est ainsi que c'est créé le système d'écriture chinoise. Les sages que l'on consultait on peu à peu noté ces signes, qu'ils ont reporté en les gravant sur des os d'omoplates à cause de leur forme assez plane et de leur amplitude pour former les idéogrammes (mais peut-être aussi sur les plaques d'argile), puis plus tard sur du bronze et enfin sur des lattes de bambou avant que ne soit inventé le papier.

Mais il est des caractères qui découlent simplement du dessin de l'objet que l'on souhaitait indiquer et c'est pourquoi les Chinois assimilent en général peinture et calligraphie.

La première forme de ce type d'écriture est connue sous le nom de sigillaire car elle était principalement utilisée sur les sceaux impériaux et des mandarins.

Pour vous donner une petite idée de cette évolution, voyons celle d'un de ces signes simples : celui du poisson (yu - 2e ton), de la sculpture sur os à l'écriture actuelle, en passant par l'ex-voto sur bronze, le grand sceau et le petit sceau  :




Pour entendre le son "yu" au 2e ton, cliquez sur ce lien.

Si vous souhaitez parcourir l'article de Rémy Mathieu sur le chamanisme en Chine ancienne, extrait d'un article thématique du magazine "L'homme", Du bon usage des dieux en Chine (1987), vous pouvez cliquer sur celui-ci : celui-ci.


jeudi 11 janvier 2018

Des vertus du ginseng - Récit du XVIIIe siècle

Au début du XVIIIe siècle, les jésuites établis à la cour de Pékin sont chargés par l'empereur Kangxi de dresser la carte de la Chine, ce qui est pour eux l'occasion de parcourir le pays et de pénétrer dans des régions jusqu'alors demeurées inaccessibles aux Occidentaux. Au cours d'une expédition géographique en Mandchourie, le père Pierre Jartoux (1701-1720) découvre le ginseng, cette plante aux propriétés "miraculeuses".

Extrait de son récit sur la plante :

"Les plus habiles médecins de la Chine ont fait des volumes entiers sur les propriétés de cette plante ; ils la font entrer dans presque tous les remèdes qu'ils donnent aux grands seigneurs ; car elle est d'un trop grand prix pour le commun du peuple. Il prétendent que c'est un remède souverain pour les épuisements causés par des travaux excessifs de corps ou d'esprit, qu'(elle dissout les flegmes, qu'elle guérit la faiblesse des poumons et la pleurésie, qu'elle arrête les vomissements, qu'elle fortifie l'orifice de l'estomac et ouvre l'appétit, qu'elle dissipe les vapeurs, remédie à la respiration faible et précipitée en fortifiant la poitrine, qu'elle fortifie les esprits vitaux et produit de la lymphe dans le sang, enfin qu'elle est bonne pour les vertiges et les éblouissements, et qu'elle prolonge la vie des vieillards.



On ne peut guère s'imaginer que les Chinois et les Tartares fissent un si grand cas de cette racine, si elle ne produisait constamment de bons effets. Ceux-même qui se portent bien en usent souvent pour se rendre plus robustes. Pour moi, je suis persuadé qu'entre les mains des Européens qui entendent la pharmacie, ce serait un excellent remède, s'ils en avaient assez pour en faire les épreuves nécessaires, pour en examiner la nature par la voie de la chimie, et pour l'appliquer dans la quantité convenable, suivant la nature du mal auquel elle peut être salutaire. Ce qui est certain, c'est qu'elle subtilise le sang, qu'elle le met en mouvement, qu'elle l'échauffe, qu'elle aide la digestion, et qu'(elle fortifie d'une manière sensible. Après avoir dessiné celle que je décrirai dans la suite, je me tâtai le pouls pour savoir en quelle situation il était : je pris ensuite la moitié de cette racine toute crue, sans aucune préparation, et une heure après je me trouvai le pouls beaucoup plus plein et plus vif, j'eus de l'appétit, je me sentis beaucoup plus de vigueur et une facilité pour le travail que je n'avais pas auparavant.

Cependant, je ne fis pas grand fond sur cette épreuve, persuadé que ce changement pouvait venir du repos que nous prîmes ce jour-là. Mais quatre jours après,me trouvant si fatigué et si épuisé de travail qu'à peine pouvais-je me tenir à cheval, un mandarin de notre troupe, qui s'en aperçut, me donna une de ces racines : j'en pris sur-le-champ la moitié, et une heure après je ne ressentis plus de faiblesse. J'en ai usé ainsi plusieurs fois depuis ce temps-là, et toujours avec le même succès. J'ai remarqué encore que la feuille toute fraîche, et surtout les fibres que je mâchais, produisaient à peu près le même effet.



Nous nous sommes souvent servis de feuilles de gin-seng à la place de thé, ainsi que font les Tartares, et je m'en trouvais si bien, que je préférais, sans difficulté, cette feuille à celle du meilleur thé. La couleur en est aussi agréable, et quand on en a pris deux ou trois fois, on lui trouve une odeur et un goût qui font plaisir.

Pour ce qui est de la racine, il faut la faire bouillir un peu plus que le thé,  afin de donner le temps aux esprits de sortir ; c'est la pratique des Chinois, quand ils en donnent aux malades, et alors ils ne passent guère la cinquième partie d'une once de racine sèche. A l'égard de ceux qui sont en santé, et qui n'en usent que par précaution, ou pour quelque légère incommodité, je ne voudrais pas que d'une once ils en fissent moins de dix prises, et je ne leur conseillerais pas d'en prendre tous les jours.Voici de quelle manière on la prépare : on coupe la racine en petites tranches qu'on met dans un pot de terre bien vernissé, où l'on a versé un demi-setier d'eau. Il faut avoir soin que le pot soit bien fermé : on fait cuire le tout à petit feu ; et quand de l'eau qu'on y a mise il ne reste que la valeur d'un gobelet, il faut y jeter un peu de sucre, et la boire sur-le-champ. On remet ensuite autant d'eau sur le marc, on le fait cuire de la même manière, pour achever de tirer tout le suc, et ce qui reste des parties spiritueuses de la racine. Ces deux doses se prennent, l'une le matin, et l'autre le soir.



A l'égard des lieux où croît cette racine, en attendant qu'on les voie marqués sur la nouvelle carte de Tartarie, dont nous enverrons une copie en France, on peut dire en général que c'est entre le trente-neuvième et le quarante-septième degré de latitude boréale, et entre le dixième et le vingtième degré de longitude orientale, en comptant depuis le méridien de Pékin. Là se découvre une longue suite de montagnes, que d'épaisses forêts, dont elles sont couvertes et environnées, rendent comme impénétrables. C'est sur le penchant de ces montagnes et dans ces forêts épaisses, sur le bord des ravines ou autour des rochers, au pied des arbres et au milieu de toute sorte d'herbes, que se trouve la plante de gin-seng. On ne la trouve point dans les plaines, dans les vallées, dans les marécages, dans le fond des raines, ni dans les lieux trop découverts. Si le feu prend à la forêt et le consume, cette plante n'y reparaît que trois ou quatre ans après l'incendie, ce qui prouve qu'elle est ennemie de la chaleur ; aussi se cache-t-elle du soleil le plus qu'elle peut."

Pierre Jartoux, Lettre du 12 avril 1711, in Lettres édifiantes et curieuses,
Paris, Société du Panthéon littéraire, 1843